Quels liens l’art entretient-il avec l’esprit ?
Dès le début du XXe siècle, la psychanalyse s’empare du sujet : Otto Rank, précurseur de la psychothérapie existentielle, pose la question des relations entre l’art et l’esprit. Comment analyser le processus créateur ? L’inconscient de l’artiste travaille à la fois l’inspiration, l’imaginaire, le ressenti, l’émotion, et aussi l’intuition, qu’il traduit dans et par son œuvre. A son tour, celle-ci nous interroge, nous bouleverse, esthétiquement et émotionnellement. Antonio Damasio a bien cerné le rôle joué par les émotions et la sensibilité dans la construction de la pensée. Dans une perspective psychopathologique, l’art dit des fous pose la question de la relation souvent évoquée du génie et de la folie.
Plus récemment, les sciences cognitives, en particulier les neurosciences, ont permis une nouvelle compréhension de l’art. Il a été possible de démontrer que les stratégies cognitives sont pleinement dépendantes des représentations et perceptions du réel. De la perception de soi et de l’environnement dépendent la connaissance et le savoir. Dès les années 60, reliant le champ de l’art et celui des neurosciences, des scientifiques parlèrent d’une « neuro-esthétique », d’une « neuro-histoire de l’art », voire d’une « neuro-esthétique ». Les études ont mis en avant l’existence des neurones-miroirs (parfois appelées neurones empathiques) et de la plasticité cérébrale (ou synaptique). Les neurosciences ont permis de mettre en relation des champs d’études très différents, allant de la biologie à la philosophie, de manière transdisciplinaire.
Ces découvertes ont également bouleversé les conceptions pédagogiques et le développement des apprentissages. En aucun cas, une éducation ne peut être passive et subie : le sujet doit être pleinement acteur, créateur, expérimentateur libre. Stanislas Dehaene (Collège de France) a démontré que le tout petit enfant est déjà doté d’un cerveau organisé de manière très complexe. Il faut ici faire le lien avec le concept de mémoire : individuelle, collective, celle de notre espèce, qu’elle soit réelle ou imaginaire.
Enfin, la pratique créative n’est pas réservée aux seuls artistes. Elle est avant tout potentialité de l’Homme, fondamentalement être d’expression. Définitivement, toute activité créatrice détient une dimension énigmatique qui échappera toujours à notre compréhension – psychologique, scientifique, artistique. S’il reste inexplicable, l’art continue de nous interroger, de même que « ce qu'il y a de plus beau dans la vie d'un artiste est ce qu'il ne peut réaliser. » (Otto Rank)
Aurore Nerrinck
Chargée de recherche et médiation à Mémoire de l'Avenir