Un proverbe yiddish dit que là où se multiplient les prophètes, il n’y a plus d’hommes ».
Et pourtant !… On voit soudain surgir des trésors d’exceptions dans des lieux insoupçonnés.
Il y a un proverbe yiddish qui dit que là où se multiplient les prophètes, il n’y a plus d’hommes.
Internet qui charriait encore si récemment à nos portes boues et glaires, tripes et vomi, se met brusquement un peu à espérer. Si les complotistes ont encore un bel avenir, leur font aujourd’hui face une cohorte d’inconnus qui offre ses services, un autre bataillon qui amuse et fait don de ce bref bonheur dont il faut se saisir, et un autre qui applaudit à tout fendre chaque soir. Soudain le monde se regarde et se détourne indifférent des devins jamais rassasiés.
Ensemble, tous les jours plus nombreux, pour survivre, pour espérer, pour se dire que nous mourrons dans une même humanité, dans le silence de nos vies, de celles qui n’ont appartenu qu’à nous seuls, pour se dire que nous vivrons peut-être un peu encore, Nous voilà donc enfin face à face.
Car c’est bien ainsi que nous devrions penser, avant d’écouter le bruit des arbres ou des baleines, aussi féériques fussent-ils, oui, c’est en compréhension, cette fois, que nous devrions nous voir, à travers ce miroir qui nous renvoie ce que nous sommes, ou plus exactement, seulement ce que nous ne sommes. Tous.
Bisel Mensh, dira-t-il de lui-même, l’écrivain Baashevic Singer lors de la réception de son Prix Nobel : signifiant « Petit homme », « pauv’ gars » en est une autre traduction. Chaque jour, des centaines de pauv’ gars (j’inclue les femmes) se lèvent dignement parmi nous, pour tendre une main gantée à leurs comparses.
Après une si certaine tragédie, après, peut-être, pourrons-nous tenter de comprendre et de couvrir le bruit des larmes par des regrets, des remords, des décisions futiles ou décisives pour l’histoire de l’humanité, mais en attendant …
Il faut appréhender le jour qui vient.
On les voit au loin s’en aller / Sans savoir d’où ils viennent / Peut-être sont-ils les dernières ombres / Des premiers hommes sur la terre / De l’ère où sur notre planète / Se disloquaient les sols et se fendaient les eaux ? / Ou peut-être sont-ils les premiers à porter / Dans les replis de leur visage/ Les signes premiers, plus profonds, de la souffrance / De l’homme nouveau sur la terre ? (Melech Ravitch, « Ballade du déclin des aborigènes »; 1937).
Les voilà enfin aimés. Ceux qui cultivent l’humanité, à mains nues. Ceux qui, honorables, ne font mentir aucun de leurs actes. Ouvriers, postiers, agriculteurs, caissiers… »
Aveugles hier, surgissent enfin à notre vue, à leur taille réelle, ceux qui passaient au travers des cases sociales dont ils n’accédaient que par espoir déchu le plus souvent, ou exaucé à la génération qui leur succédaient. Les voilà enfin aimés. Ceux qui cultivent l’humanité, à mains nues. Ceux qui, honorables, ne font mentir aucun de leurs actes. Ouvriers, postiers, agriculteurs, auxiliaires de vie, aides ménagères, routiers, caissiers, artisans, artistes et tant d’autres encore, à qui si peu était donné.
Apparaissent aussi avec une clarté criarde ceux l’on croyait opulents et qui meurent de leur vocation à sauver, infirmiers, médecins, chefs de services… et tant d’autres encore. Ceux en particulier qui ne se commettent pas à comparer un « mort pour un autre », un malade du covid pour un accident de la route ou de trottinette. Et puis, tous ceux également qui aspirent à être solidaires pour des inconnus qu’ils auraient, hier encore, toisés. Vous, moi…
Nombreux je l’espère les ‘pauv’ gars’ immunisés contre nos démocraties, nos mensonges, l’indifférence froide, le manque le plus basique de compassion, immunisés espérons tous ces hommes, ces femmes qui ne misent ni sur le nombre de morts journaliers de pays en pays, ni sur l’avenir sinistre qui pourrait cogner à nos portes.
Alors, pour tous ces sombres crétins et criminels ambitieux, prions pour qu’ils soient reniés par cette nature-là, celle précisément constituée d’hommes et de femmes qui recèlent en eux un pan de céleste et l’avenir possible de notre monde.
Daniella PINKSTEIN
Dédicace de l’auteur : « Pour tous ces hommes qui se battent pour retrouver le secret d’un peu d’humanité. Pour Marc Knobel.»
(8/04/20)