Jean-Louis Rullaud et Antoine Guilhem-Ducléon interrogent à travers leur travail respectif la notion de rupture en tant qu’espace temporel ouvrant un champ des possibles dans l’interprétation du vivant et de son rapport à son environnement. Le moment de la rupture est amené par les photographes, dans une vision optimiste, à être compris comme une mutation des êtres et des choses. Rien ne se perd, tout se transforme.
La pratique artistique d’Antoine Guilhem-Ducléon s’est nourrie de ses années passées à inventorier, par la photographie, les constructions architecturales pour le compte des Monuments Nationaux, de la Drac ou encore de différents cabinets d’architectes.
Dans son travail il confronte le végétal et l’architecture dans des univers en ruine, désincarnés, déshabités, où la végétation reste le seul élément à figurer le vivant. Il présente dans le cadre de cette exposition trois séries. Dans la série, Sans titre, l’architecture est récente et le végétal, haut, fort et abondant, se reflète et s’intègre à l’habitat. La seconde, Les Floralies, est un ensemble architectural des années 70 destiné à être détruit, où la végétation, que l’on suppose initialement amenée et maitrisée par l’Homme, semble désormais, en son absence, commencer sa lente extension. La 3ème série, H14, est en noir et blanc. Le végétal a disparu, la destruction arrive. La ruine est en suspension.
Ces trois séries d’Antoine Guilhem-Ducléon font écho à la série des Natures Mourantes n°1 de Jean-Louis Rullaud. « La vitesse est au temps ce que la pourriture est au fruit». La série interroge les changements d’états de la matière vivante consommable. Le sujet de ces photographies, la décomposition, contraste avec la mise en scène très maitrisée, quasi picturale, et l’esthétique volontairement léchée de la photographie, qui transforment ces fruits, légumes et poissons pourrissants en objet précieux. Le rapport au corps humain, à son inextricable chute vers l’avant, est là. A travers ces Memento Mori, c’est notre rapport au temps que questionne l’artiste. La vitesse qui régente la vie de l’Homme aujourd’hui, sa productivité attendue, l’empêchent de jouir de l’instant. Cette question revient également dans la série Natures Mourantes n°2, qui donne à voir ce que l’homme ne voit plus. «Comme un projectile dans l’espace je fuse vers l’avenir ». La vitesse et le temps imbriqués transforment la perception de l’espace. Jean-Louis Rullaud réinterprète, par la couleur, ses photographies de paysages, en une nature inquiétante, étrange, mourante.
Dans la perception humaine, le temps et l’espace ont toujours tendance à être dissociés, le temps à être perçu seulement comme un concept qui n’a pas de réalité physique, menant la vie à ses décompositions matérielles et immatérielles.
Jean-Louis Rullaud et Antoine Guilhem-Ducléon intègrent dans leur travail l’équation « temps » sous ses différents aspects: le temps qui passe, le temps passé, le temps futur mettant en parallèle les variations des états de la matière vivante, l’Homme et son environnement, l’Homme et son habitat. Métaphores parfois sensuelles du corps avec la nature. Métaphores souvent plus difficiles de la création humaine, figurée par un urbanisme en expansion, mal pensé, qui finit par être détruit et celle de la flore, mourante qui disparait aussi du fait de l’Homme.
Ces projets photographiques questionnent à la fois la forme et le sens. Recherche sur le transitoire de la vie, sur la vitesse et le temps comme matière, qui intègre et transforme la perception de l’espace et offre des interprétations sensibles de la réalité.
Rupture, un espace-temps, une exposition présentée à Mémoire de l’Avenir du 4 mai au 9 juin 2018.
RUPTURE, subst. fém.
Action de rompre ou de se rompre; résultat de cette action.
« Etre à la rupture des choses, considérer celle-ci comme un espace, une durée, un laps de temps concret ou se produisent des événements, des bouleversements de formes, des transformations biologiques, des métamorphoses.
Y a t-il une continuité dans la rupture ? ou une rupture dans la continuité ? C’est au seuil de cet état que nous plaçons notre regard et nous sommes les témoins de ces multiples mutations.
Visualiser ce temps, de la vie vers une autre vie, d’une construction à une déconstruction puis à nouveau une construction.
Témoigner de l’avenir d’un fruit mûr tombé de l’arbre, d’un poisson sorti des eaux, d’un ensemble de logement vidé de ses habitants.
Nos matières sont la nature, le béton, l’acier, les fruits, la viande. »
Jean-Louis Rullaud et d’Antoine Guilhem-Ducléon