"Hors-limites"
Que sont les frontières? Etymologiquement, la frontière renvoie au « front d'une armée », à une « place fortifiée faisant face à l'ennemi ». La référence première est donc issue du vocabulaire guerrier. Dans tous les cas, elles traduisent la notion de limite : géographiques ou territoriales, politiques, culturelles, identitaires : elles rendent l’imaginaire concret et visible.
Mais les frontières relèvent avant tout de la confrontation à l'altérité, à la particularité, et à la différence. Elles interrogent notre rapport éthique à l’autre et à la société ? Comment accueillir l’autre, dans la perspective d’un enrichissement commun ? Comment aborder l’idée de la frontière sans parler de citoyenneté, de l’exil et de l’actualité douloureuse des réfugiés ? Un monde sans frontières est-il possible? Ou cela relève-t-il de l'utopie d'une humanité enfin rassemblée, qui vivrait sans conflit? N’est-ce pas aussi ce fantasme qui a donné naissance à l’impérialisme et au colonialisme, tentation de la normalisation guidant la mondialisation ? Dès lors, les frontières sont-elles responsables des guerres et des violences ? Peut-être qu’elles expriment aussi, au-delà de ces contingences politiques et économiques, le droit à l’individualité et à la différence.
Car la frontière est avant tout symbolique : il s’agit avant tout de nos propres limites intérieures, de notre finitude. La frontière-limite est ce qui nous résiste, ce qu’il est difficile – mais pas impossible – à dépasser, à penser. Mais c’est cet élan même qui pousse l’Homme à la créativité, à l’art, à l’inventivité, appelé à toujours se surmonter lui-même. « En art point de frontière », écrivait Victor Hugo, à raison.
L’Homme est amené, sans cesse, à expérimenter sa liberté et ses limites : tant dans sa vie personnelle, que dans la collectivité et la société. Individuellement, les limites sont tout autant physiques qu’immatérielles, émotionnelles ou culturelles. Elles peuvent générer un sentiment de sécurité ou encore d’exaspération ou de frustration. Qu’arrive-t-il, dès lors, lorsque nous sommes hors limites ? Nous pouvons découvrir un nouveau champ de liberté, créer de nouveaux territoires, de nouvelles relations. Mais en aucun cas, la liberté ne peut se désolidariser des notions d’égalité et de fraternité, qui lui donnent sens. Qui en sont les garants et les gardiens, aussi.
Il faut donc relever toute l’ambiguïté qui rôde autour de la notion de frontière : elle interdit en même temps qu’elle protège. Et même, elle invite au dépassement, car toujours, elle demande à être traversée, à ouvrir de nouveaux territoires jamais imaginés, intérieurs comme extérieurs. L’Homme est, fondamentalement, un être aspirant à la liberté, tendu sur le fil du « dedans/dehors », du « fini/infini », entre les marges, tendu vers l’horizon.
Jusqu’où ira-t-il ?